Sortir du cadre – Orlan : corps, médias et technologies

Mirelle Porte, mondialement connue sous le nom de ORLAN, est une artiste féministe et plasticienne transmédia, originaire de Saint-Étienne. Pluridisciplinaire, elle utilise divers supports et explore en particulier les médiums numériques ainsi que les biotechnologies

C’est à l’occasion d’un entretien avec MOOC DIGITAL PARIS dans son studio, qu’elle s’attarde sur son travail en explicitant l’un des thèmes centraux de son œuvre : le cadre et sa pression exercée sur les corps et les œuvres d’art.

ORLAN s’amuse de la norme et des codes sociaux en les détournant et en s’émancipant des limites qu’ils imposent. Elle remet en question le formatage et privilégie le fond et le concept à la forme finale de ses œuvres. Elle joue avec la notion de temporalité, ne limitant pas ses performances ou ses œuvres vidéographiques et permet ainsi une mise à distance et une digestion de l’image.

En suivant les progrès technologiques, elle s’empare des nouvelles découvertes et les questionne. Ce processus d’appropriation et de détournement de l’outil lui permet de réinventer sa pratique et de découvrir ce que ces techniques novatrices peuvent apporter au monde de l’art. Lorsque le minitel apparaît, elle fait partie des rares personnes à l’exploiter artistiquement, en créant le premier site d’art contemporain en ligne, intitulé Art-Accès-Revue, avec Frédéric Develay.

Hybridation, métissage et mutation s’imposent très vite dans les travaux d’ORLAN, où elle mélange différentes civilisations, pratiques artistiques et problématiques identitaires. À l’origine d’œuvres parfois polémiques, elle explique que la transformation du corps ne pose aucun problème éthique à ses yeux puisque notre anatomie évolue constamment à cause du temps, de nos efforts physiques et de nos émotions. La déformation volontaire du crâne est d’ailleurs l’une des grandes influences de l’artiste, car cette pratique témoigne de cette volonté d’altérer le corps chez de nombreuses cultures, à différentes époques.

C’est sa propre image qu’elle écorche et cultive pour y inviter l’autre en se modifiant et s’amplifiant numériquement, mais aussi en utilisant sa propre chair. Avec ses performances chirurgicales, elle questionne les critères de beauté et s’ouvre à la pratique de l’art charnel. En 2008, elle réalise Le manteau d’Arlequin, une installation composée de plusieurs cultures de cellules animales et humaines, dont les siennes. 

En plus d’explorer les limites et la forme de son corps par intervention chirurgicale, elle continue d’exploiter l’hydride via des supports numériques, comme le scan de l’intégralité de son corps et la modélisation 3D de celui-ci. Ces manipulations et transformations faites à son image amènent à une prise de recul en mettant en lumière le sujet comme étant l’objet d’étude.

Le corps vieilli, souffre, se fatigue, et se transforme, contrairement au corps numérique qui reste intact et inépuisable. ORLAN possède les deux et se sert de son double virtuel pour défier ses limites et réaliser ce qu’elle ne peut pas faire en tant qu’être de chair et d’os.

Bibliographie annotée

Livres

Benford Steve et Giannachi Gabriella, Performing Mixed Reality, The MIT Press, 2011.

Avec l’arrivée de nouveaux outils technologiques interactifs, les pratiques artistiques se voient transformées en offrant un croisement de plus en plus riche entre le virtuel et la réalité. C’est dans cette logique que performance et théâtre se retrouvent au cœur des expérimentations du Mixed Reality Laboratory, fondé par Steve Benford et Gabriella Giannachi. Dans ce laboratoire, les recherches et les travaux suivent une approche pluridisciplinaire et se concentrent sur l’interaction entre humains et ordinateurs.

Daubner Ernestine et Poissant Louise, Bioart: Transformations du vivant, PUQ, 2012.

Les avancées en biotechnologies se multiplient mais demeurent ambiguës et complexes aux yeux du public. Ce livre explicite le rôle du bio art et ses spécificités comme moyen de s’approprier ce domaine et y apporter un second degré de compréhension. On y retrouve les différentes pratiques reprises à la biologie par les artistes, comme la manipulation génétique, la culture de cellules humaines, ou encore l’utilisation des signaux électriques humains.

Fourmentraux Jean-Paul, Art et internet: les nouvelles figures de la création, Paris, CNRS, 2005 (CNRS communication).

Ce livre explore comment le processus créatif s’innove et se transforme en phase avec les avancées technologiques. En effet, l’arrivée d’Internet et des nouvelles techniques a renversé et renverse encore la manière de créer et de diffuser l’art. Les nouveaux outils autorisent aux artistes de réinventer le processus créatif et favorisent le collectif, le collaboratif ainsi que l’intersection de plusieurs disciplines.

Haraway Donna, Simians, Cyborgs, and Women: The Reinvention of Nature, Routledge, 2013.

Donna J. Haraway est professeure en sciences humaines et écrivaine. Considérée comme l’une des pionnières du cyberféminisme, elle pense la figure du cyborg comme un symbole féministe fort grâce à sa capacité de déconstruire les codes du féminisme traditionnel ainsi que la binarité des corps et des sexualités. Le célèbre Manifeste cyborg y figure, où l’auteur livre cette idée utopique d’un être vivant comme un mélange d’organes et de pièces venant de machines.

Milon Alain, La réalité virtuelle : Avec ou sans le corps ?, Paris, Editions Autrement, 2005.

La cyberculture imagine, fantasme et construit un nouveau corps qui s’affranchit des contraintes de temps, de gravité, d’usabilité et de mort. Face à cette disparition de la figure humaine telle que nous la connaissons, Alain Milon s’interroge autour des notions de réalité augmentée et d’expériences immersives en étudiant ce que le virtuel apporte au réel sans opposer ces deux domaines.

Articles de revue

Brunet-Georget Jacques, « « Devenir-machine » et post-organique : une lecture d’Orlan et de Cronenberg », Entrelacs. Cinéma et audiovisuel (HS), Téraèdre, 02.02.2012. En ligne: <https://doi.org/10.4000/entrelacs.309>, consulté le 27.04.2020.

Jacques Brunet-Georget se questionne sur les altérations de l’identité et des usages du corps et en particulier dans le domaine artistique. Ici, le sujet porte sur la complémentarité et la compatibilité entre la machine et l’humain, à travers une analyse des approches contemporaines d’ORLAN et de David Cronenberg.

Maestrutti Marina, « Techno-imaginaires du corps à l’ère des technosciences. Art contemporain et utopie de la transformation », Cahiers de recherche sociologique (50), Athéna éditions, 2011, pp. 77‑95. En ligne: <https://doi.org/10.7202/1005978ar>, consulté le 26.04.2020.

Cet article analyse la relation entretenue entre transhumanisme, nouvelles technologies et art contemporain. Il se concentre sur les technosciences qui nourrissent une imagination inédite et invite diverses expérimentations et transformations autour du corps humain, donnant naissance à de nouvelles formes d’identités.

Molinet Emmanuel, « L’hybridation : un processus décisif dans le champ des arts plastiques », Le Portique. Revue de philosophie et de sciences humaines, Association Les Amis du Portique, 22.12.2006. En ligne: <http://journals.openedition.org/leportique/851>, consulté le 27.04.2020.

Le processus qui découle de l’hybride et qui précède la forme est ici étudié par le philosophe Emmanuel Molinet, pour qui l’hybride ne s’arrête pas à une créature, et participe même à une restructuration de l’architecture du monde. Il retrace l’histoire, les origines et les différents usages de cette figure au sein des arts plastiques, en apportant une compréhension plus complète de cette forme qu’il décortique.

Sicard Monique, « Orlan, post-woman », Les cahiers de mediologie N° 15 (1), Gallimard, 2003, pp. 129‑133.

Le corps, l’image et l’identité sont au centre de l’œuvre d’ORLAN, qui les incise et les transforme afin de questionner leurs symboliques et leurs limites. Elle se libère des critères de beauté et de la sacralisation du corps, en autorisant une remise en question des codes religieux, politiques et sociétaux. Elle nous donne la possibilité de voir à travers le corps (surtout celui de la femme) l’arrivée d’une ère post-humaine.

Zocco Fabien et Kyrou Ariel, « Quand les arts détournent l’intelligence artificielle », Multitudes n° 78 (1), Association Multitudes, 07.04.2020, pp. 116‑124.

Comprendre les outils de notre temps afin de les explorer et les déconstruire, voilà la problématique qui anime l’échange entre l’artiste Fabien Zocco et le journaliste Areil Kyrou qui débattent sur l’intelligence artificielle. Ces nouvelles technologies apparaissent comme trop peu explorées pour ce rédacteur, qui déplore un traitement du sujet fait au premier degré. Il cite notamment ORLAN et son ORLANoïde pour appuyer son argument. 

Pages web ou autres

Cronenberg David, Videodrome, Horreur/ Science-fiction, 1 heure 27 minutes, Universal Pictures, 04.02.1983.

David Cronenberg explore l’humain, la dégénérescence de la société, la sexualité et notre rapport à la technologie. Videodrome reste encore aujourd’hui un classique du cinéma fantastique, car le réalisateur y livre un point de vue visionnaire. Avec ce film, il traite en particulier de la relation entre humain et technologie, avec cette appétence et cette banalisation de la violence, favorisée par l’omniprésence de l’image.

Dartmouth College, In the Flesh: Bio Art, Trans-Species Aesthetics and the Question of Technology, Hoffmann Lecture 2018 1 heure 23 minutes, New York, 26.04.2018. En ligne: <https://www.youtube.com/watch?v=KLOq9cuLCII&t=45s>, consulté le 30.04.2020.

Le professeur Jens Andermann est invité par le Dartmouth Collège, pour parler lors de la conférence Hoffman de 2018. Ses recherches se concentrent sur l’art contemporain en Amérique latine, et il s’attarde ici sur la manière dont les arts défient et remettent en question les outils numériques en se les appropriant. Il cite plusieurs artistes latino-américains qui ne créent plus en imitant, mais en élaborant des idées « cybernétiques », une approche qui pourrait anticiper une civilisation post-humain.

Harbisson Neil et Ribas Moon, What’s it like to be a cyborg?, 1 heure, Talks at Google, 22.11.2016. En ligne: <https://www.youtube.com/watch?v=rRU62Csr_jI>, consulté le 26.04.2020.

Neil Harbisson et Moon Ribas sont deux artistes connus pour une caractéristique commune : ils sont tous les deux des artistes cyborgs. Neil Harbisson possède une antenne reliée au crâne lui permettant d’entendre les couleurs, tandis que Moon Ribas s’est implantée un sensor sismique dans le bras afin pour pouvoir ressentir les secousses sismiques. Fondateurs de la Fondation Cyborg, c’est via ces extensions corporelles qu’ils produisent et construisent leurs propres perceptions du monde, et expliquent ce que cela implique lors de cette conférence.

« Gaîté Lyrique | Computer Grrrls », La Gaîté Lyrique, <https://gaite-lyrique.net/evenement/computer-grrrls>, consulté le 30.04.2020.

La Gaîté Lyrique est un centre culturel parisien dédié aux arts numériques. C’est au sein de cette institution que Computer Grrrls a vu le jour. Cette exposition a invité des artistes et des collectifs internationaux à transmettre une analyse tranchante sur les nouvelles technologies en revisitant l’histoire des femmes et des machines. En plus des œuvres exposées, des rencontres et des concerts ont été organisés pour imaginer et favoriser un futur plus diversifié et égalitaire.

Seu Mindy, « Cyberfeminist Index (~1990s-present) », Google Docs, <https://docs.google.com/spreadsheets/d/1q_ZlbZhstBTfnZL4QP11ebivXgsvrf8shuG-QX146nw/edit?usp=embed_facebook>, consulté le 27.04.2020.

La chercheuse et designeuse américaine Mindy Seu est la créatrice de ce Google doc, qui a pour but de constituer le premier catalogue entièrement destiné au cyberféminisme. En marge de l’apparence lisse et très fructueuse de la Silicon Valley, ce mouvement dépasse le militantisme féministe en offrant un réel champ d’expérimentation et de remise en question sur la technologie. Cette initiative vise à retracer le chemin de ces évènements, afin de produire des archives à même de retranscrire l’évolution, les enjeux et les découvertes de cette démarche.

Références bibliographiques

  • Mooc rédigé par Annabel Trotignon, étudiante en Master 1, Scènes et Images Numériques à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, dans le cadre du cours de Culture des Médias de Clarisse Bardiot.

Tous les textes des carnets de recherche sont publiés par le blog du laboratoire De Visu sur le site hypothèses : Open édition en sciences humaines et sociales.