Jeux vidéo : une innovation tant technique que visuelle

David Cage, créateur du studio Quantic Dream et développeur de jeux vidéo, évoque au cours d’un entretien pour L’Ecole Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques de la ville de Paris différents aspects de ses projets. Il est d’abord question de contexte : quelle était la place du jeu vidéo aux débuts du studio de développement, quelles innovations sont apparues à cette époque et dans quelles circonstances leurs jeux vidéo ont-ils été créés. L’arrivée du CD-ROM dans les années 80-90, permettant une plus grande capacité de stockage, a totalement chamboulé l’univers du jeu vidéo car il a permis aux développeurs de s’affranchir de nombreuses contraintes. Un tout nouveau mode d’approche quant à la manière de créer et de raconter une histoire, de dépeindre un univers, une révolution technologique bien loin des cartouches de jeux vidéo aux plans fixes et aux musiques synthétisée par la console. Dans les années 2000, les procédés connus du monde du cinéma s’intègrent même à celui du jeu vidéo tel que les différentes distances focales, les vues en plongée ou contre-plongée, les mouvements de caméra, les flous… etc. Ces techniques permettent une meilleure narration et offre aux joueurs une plus grande immersion au sein de l’œuvre.

Vient ensuite la question du processus créatif et de la technologie la plus adaptée. David Cage et son équipe développent un genre peu connu du monde du jeu vidéo : le jeu narratif et interactif. Assimilé aux jeux de rôles papier traditionnels, il entraîne le joueur dans l’action et l’invite à faire différents choix qui, eux, impacteront le scénario de l’histoire. Avec un développement « en branches », c’est-à-dire à choix multiples, elle devient en quelque sorte unique et très personnelle, faisant du joueur un coscénariste mais surtout un acteur à part entière. Si loin mais pourtant si près du jeu d’aventure Colossal Cave Adventure, premier récit interactif des années 70 principalement composé de texte, ses derniers jeux tels que Detroit : Become Human offrent une fraicheur au genre tout en s’adaptant aux technologies de notre temps.

Pour ce qui est de la technique, Quantic Dream va de plus en plus faire appel à l’animation par motion capture, un procédé qui consiste à enregistrer à l’aide de capteurs les mouvements d’un véritable acteur pour les retranscrire sur ordinateur. Cette nouvelle technologie qui ne cesse de se développer, est utilisée aussi bien dans le jeu vidéo que dans le cinéma. Pour Detroit, l’équipe fait appel à de nombreux acteurs connus du cinéma afin d’enregistrer leur prestation physique mais également auditive car leurs capteurs permettent une capture complète : le corps, le visage et la voix. Ainsi, et sous la direction des développeurs, les acteurs livrent une véritable performance au sein du studio et sont enregistrés et retranscrits à la manière d’une production cinématographique. D’autres jeux tels que The Last Of Us, développé en 2013, utilise le même procédé de réalisation, offrant alors aux joueurs un réalisme et une immersion propre au cinéma mais tout en gardant une part de contrôle sur l’œuvre.

S’approchant peu à peu d’une esthétique réaliste et cinématographique, le jeu vidéo ne cesse de se développer et d’innover en matière de narration et de technologie. De nouveaux modes de jeux s’offrent aux joueurs, s’ouvrant ainsi à d’autres publics en quête d’expériences inattendues.

Bibliographie

Articles de revues

Archibald S., Gervais B. « Le récit en jeu : narrativité et interactivité ». pr [En ligne]. 2006. Vol. 34, n°2‑3, p. 27‑29. Disponible sur : < https://doi.org/https://doi.org/10.7202/014263ar >

  • Le récit, ses différentes transformations et son lien avec l’interactivité sont à l’honneur dans et article. Il est également question d’une confrontation entre deux termes : la narrativité et l’interactivité, qualifiés de contradictoires et qui, selon les ludologues et les narratologues, ne peuvent être associés. Une réflexion très intéressante sur le sujet qui permet un retour aux origines et un réel questionnement sur ces nouveaux récits.

Chevaldonné Y. « Intertextualités : jeu vidéo, littérature, cinéma, bande dessinée ». Hermes, La Revue. 2012. Vol. n° 62, n°1, p. 115‑121.

  • L’article Intertextualité d’Yves Chevaldonné tisse les liens entre le jeu vidéo et les autres mondes imaginaires, à savoir la littérature, la bande dessinée, le cinéma et les jeux de rôle. Il aborde également ces jeux de rôles numériques et leurs cinématiques, des petites parties de scénario diffusées entre deux phases de jeu durant lesquelles le joueur à accès à des informations de l’histoire tout en étant spectateur. Cet état passif développe le côté narratif des jeux et ajoute une touche cinématographique très importante au sein du jeu.

Laveault D., Corbeil P. « Psychopédagogie du jeu de simulation pour l’apprentissage de l’histoire ». rse [En ligne]. 1986. Vol. 12, n°1, p. 25‑43. Disponible sur : < https://doi.org/https://doi.org/10.7202/900518ar >

  • Le jeu de simulation est un genre très développé dans le monde du jeu vidéo. Le joueur étant au cœur du sujet développé, il peut aisément prendre la place d’un personnage de fiction, à la manière d’un jeu de rôle traditionnel. Par ailleurs, ces jeux peuvent-ils être exploités en tant que méthode d’enseignement ? Cette étude réalisée sur plusieurs groupes d’enfants avance les différents résultats qui peuvent être observés.

Mabillot V. « Les proximités de l’interactivité ». Communication & Langages [En ligne]. 2003. Vol. 138, n°1, p. 105‑121. Disponible sur : < https://doi.org/10.3406/colan.2003.3242 >

  • Vincent Mabillot tient dans cet article à éclaircir le mode de fonctionnement même de l’interactivité, à savoir une manière de penser la communication. C’est un lecteur, habituellement passif qui devient soudainement acteur et ce, grâce à une manière différente d’aborder un média.

Massuet J.-B. « Les images de synthèse peuvent-elles avoir une âme ? La performance capture ou le « ghost in the shell » de l’animation numérique ». im [En ligne]. 2013. n°22,. Disponible sur : < https://doi.org/https://doi.org/10.7202/1024121ar > (consulté le 30 avril 2020)

  • « Les images de synthèse peuvent-elles avoir une âme ? » L’ère du numérique et des nouvelles technologies, toujours plus innovantes, font partie de notre quotidien désormais. Ces images de synthèses, créées de toute pièce par animation ou encore par motion capture, que nous pouvons apercevoir dans la publicité, dans le cinéma ou dans les jeux vidéo, font l’objet d’un réel questionnement quant à leur origine et leur « sincérité ». En motion capture, le moindre mouvement du corps, la moindre expression du visage et la moindre tonalité de la voix de l’acteur est retranscrite par ordinateur et redirigé vers le corps de synthèse mais est-ce pour autant une performance d’acteur ? Cette réflexion riche sur le sujet permet de comprendre les subtilités des dernières technologies mais surtout de notre relation aux images.

Ouvrages

Barnabé F. Narration et jeu vidéo: Pour une exploration des univers fictionnels. [s.l.] : Bebooks, 2014. 206 p.ISBN : 978-2-87569-143-9.

  • Comment le jeu vidéo raconte une histoire? Quelles sont les outils dont il dispose pour créer une narration ? Et est-ce que cette narration justifie les complexités de ce produit culturel ? Dans cet ouvrage, Fanny Barnabé tente d’éclaircir ces différentes questions en s’appuyant sur une multitude de références et analyses d’œuvres vidéoludiques.

Poirson M., Blanchet A. CinémAction. . 168, Jeux vidéo et cinéma : une création interactive / dirigé par Marion Poirson-Dechonne [En ligne]. [s.l.] : C. Corlet. Condé-sur-Noireau (Calvados), 2018. 1 vol. (182 p.); illustrations en noir et blanc ; 24 x 16 cm p.(CinémAction). Disponible sur : < https://www.bm-reims.fr/Default/doc/SYRACUSE/2083329/cinemaction-168-jeux-videos-et-cinema-une-creation-interactive-dirige-par-marion-poirson-dechonne > (consulté le 27 avril 2020)ISBN : 978-2-84706-708-8.

  • Ce numéro de CinémAction évoque les nombreux liens qui peuvent exister entre cinéma et jeux vidéo, en ciblant particulièrement les adaptations d’un médium à un autre. Cinéma d’horreur et Horror Survival comme Resident Evil, films d’arts martiaux et Shoot’em up  ou jeux de combat comme Street Fighter… Les deux médias s’interpénètrent continuellement. Mélange d’interviews et de texte critique, ce numéro datant de 2018 offre une réflexion approfondie sur un médium en pleine expansion.

Trémel L. Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia [En ligne]. [s.l.] : Presses Universitaires de France, 2001. Disponible sur : < https://doi.org/10.3917/puf.treme.2001.01 > (consulté le 30 avril 2020)ISBN : 978-2-13-051578-4.

  • Pratiques trop peu rapportées dans le domaine des sciences sociales, le jeu de rôle et le jeu multimédia font pourtant partie de notre société depuis longtemps. L’analyse approfondie du jeu de rôle et des conséquences qu’il peut apporter aux jeunes joueurs, le développement des jeux informatisés suite au déclin des jeux de rôles traditionnels durant les années 90 et donc l’arrivée de technologies nouvelles dans notre société sont au cœur de cet ouvrage.

Voorhees G. A., Call J., Whitlock K. Dungeons, Dragons, and Digital Denizens: The Digital Role-Playing Game. [s.l.] : Bloomsbury Publishing USA, 2012. 398 p.ISBN : 978-1-4411-3892-7.

  • Dungeons, dragons and digital denizens est un recueil d’essais sur les jeux de rôle et sur la portée et les implications que peuvent avoir ces jeux numérisés. Divisé en trois parties, cet ouvrage tente de décrypter les différents types de jeux, leur mode de fonctionnement et leurs conséquences sociales et culturelles. En s’appuyant sur des grands noms tel que World of Warcraft ou encore Final Fantasy, il tente de décortiquer non pas un simple type de jeu mais un véritable univers.

Entre cinéma et jeux video : l’interface-film. Métanarration et interactivité – Marida Di Crosta [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.decitre.fr/livres/entre-cinema-et-jeux-video-l-interface-film-9782804114725.html > (consulté le 27 avril 2020a)

  • Cette étude de Marida Di Crosta, auteure-scénariste de fictions interactive et maître de conférences  l’université Jean Moulin Lyon 3, souligne l’hybridation entre deux médiums, le cinéma et les médias informatisés, puis se penche sur la question du devenir du cinéma. Elle questionne également le sujet de l’interactivité, qualifié selon elle de pont entre ces deux domaines.

Pages web et autre

« L’histoire dont vous êtes le héros – Ép. 4/4 – Philosophie des jeux vidéo ». In : France Culture [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/philosophie-des-jeux-video-44-lhistoire-dont-vous-etes-le-heros > (consulté le 27 avril 2020b)

  • Dans ce podcast de France culture, Alexis Blanchet aborde différents sujets liés aux jeux vidéo comme ses origines, l’importance d’un récit, ses différentes formes (micro récit ou « quêtes annexes » par exemple), mais aussi la différence entre le jeu et la réalité en s’appuyant sur des exemples cinématographiques.

Behind the Scenes – The Last of Us [Making of] [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=LH18nGoIUKo > (consulté le 27 avril 2020c)

  • The Last Of Us est un jeu vidéo développé par le studio Naughty Dog en 2013. Il s’agit également d’un jeu réalisé presque entièrement en motion capture, c’est à dire en captant la performance de véritables acteurs en studio.

De la même manière que les jeux du studio de Quantic Dream, les acteurs évoluent et performent dans un espace défini et chacun de leurs mouvement est enregistré grâce à une multitude de capteurs sur une combinaison. Ils sont installés au niveau des articulations de l’acteur afin que chaque information importante soit retranscrite en numérique.

A la différence de Detroit: Become Human, le dernier jeu développé par Quantic Dream, les développeurs de The Last Of Us utilisent uniquement la motion capture pour retranscrire les mouvements des corps des acteurs et non pas leur visage et leur voix, ces derniers seront développer à l’aide de la technique du Keyframe, c’est à dire de l’animation par ordinateur.

Il est également intéressant de voir l’envers du décor, comme par exemple l’utilisation d’accessoires, indispensables pour les acteurs. L’espace du dispositif de motion capture étant assez restreint et relativement vide par rapport aux décors de cinéma traditionnel, les personnages ont besoin de repères car ils évoluent sans véritables objets. Ces accessoires sans prétention, marqués eux aussi de capteurs, seront développés également en keyframe.

Cinéma et jeux vidéo, avec Alexis Blanchet. Théories des jeux vidéo. Ep. 8 [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=JEkT-wQQ4Rs > (consulté le 27 avril 2020d)

  • Alexis Blanchet, docteur en études cinématographiques de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, est invité à participer au huitième épisode de la série de vidéos « Théories des jeux vidéo ». Spécialiste de la question de la relation entre cinéma et jeux vidéo, il revient sur les origines des premiers jeux comme par exemple Gun Fight, jeu de tir d’origine japonaise qui reprend un des grands thèmes du cinéma, à savoir les westerns. Il fait de nombreux liens entre les deux médiums, soulignant ainsi leurs nombreuses similitudes.

Le jeu vidéo s’intéresse au cinéma dans un premier temps, pour sa manière d’aborder les choses visuellement et pour sa manière de raconter les histoires. Il lui emprunte sa façon de filmer (plan fixe avec les premiers films des frères Lumière, travelling/scrolling horizontal avec les aventures de Buster Keaton par exemple) et arrive à reproduire des différences de distances focales, des vues en plongée et en contre plongée grâce à la modélisation dans les années 90. Dans les années 2000, le mouvement de caméra offre au joueur une véritable immersion, comme au cinéma. Les jeux de guerre ressemblent aux films de guerre, le flou et le décadrage natif du cinéma vient s’inscrire dans le monde du jeu vidéo.

Mais les rôles s’inversent également. Le cinéma s’inspire à son tour de l’univers des jeux en créant des adaptations, ou simplement des histoires dont le héros du film est un « gamer », un passionné de jeux vidéo (Tron de Disney et plus récemment Ready Player One de Spielberg).

Une relation complexe entre les deux médiums, entre collaboration et concurrence.

How video games turn players into storytellers | David Cage [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=XowcxCYbug0 > (consulté le 28 avril 2020e)

  • Et si nous avions la possibilité de changer un détail de l’histoire?

David Cage offre ici l’opportunité au public d’une conférence TED Talks de tester le jeu narratif et interactif développé par le studio Quantic Dream, et de ce fait, pour chaque situation l’audience a le choix entre différentes réponses.

Cette expérience permet à David Cage d’évoquer son travail de développeur, du processus de création et du fonctionnement d’une œuvre interactive. C’est aussi une occasion de montrer au public à quoi ressemble ce nouveau mode de jeu, des différentes possibilités qui existent, ce qui est relativement novateur.

The Making Of Detroit: Become Human [Behind-the-Scenes Footage] [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=10vHHje9W1k > (consulté le 27 avril 2020f)

  • Dans les différentes vidéos du mooc, David Cage évoque ses différents projets de jeux vidéo narratifs et interactifs. La sortie imminente de Detroit: Become Human, le dernier projet du studio Quantic Dream utilise le même système de jeu. Avec une écriture du script en « branches », le joueur à la possibilité de choisir le destin des différents personnages à jouer; face à chaque situation, plusieurs réponses s’offrent à lui.

Dans cette vidéo, nous pouvons observer l’envers du décor, à savoir les véritables acteurs performer dans l’espace de motion capture défini et ainsi voir l’action réelle face au rendu final dans le jeu. Il est intéressant de noter les différences entre la motion capture et le cinéma traditionnel. Les costumes, le maquillage, la coiffure, les décors et même la lumière sont des problématiques qui n’ont pas lieu d’être en motion capture puisqu’en réalité, ce sont les capteurs qui définissent le véritable rendu. Seule la performance compte.

 

Ainsi, le temps en studio est optimisé et uniquement consacré aux prestations. Avec ce développement du script en « branches », il faut pouvoir enregistrer toutes les possibilités de réponses face aux situations qui s’offrent au joueur, les prises sont alors très nombreuses et très rapides.

Références bibliographiques

  • Mooc rédigé par Mégane Ricciuti, étudiante en Master 1, APMA à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, dans le cadre du cours de Culture des Médias de Clarisse Bardiot.

Tous les textes des carnets de recherche sont publiés par le blog du laboratoire De Visu sur le site hypothèses : Open édition en sciences humaines et sociales.